vendredi 25 septembre 2015

20 - La couleur des sentiments

Auteur : Kathryn Stockett
Éditeur : Éditions Jacqueline Chambon

Jackson, Mississippi, dans les années 60. Aibileen et Miny sont noires et vivent au quotidien, tout comme leurs amies, les injustices, la ségrégation, l'humiliation. Certes, l'esclavage est aboli, mais un Noir ne peut prétendre à rien, ne peut pas dire ce qu'il pense, ne peut aller dans le même hôpital, la même école, les mêmes magasins que les Blancs, n'a même pas le droit d'utiliser les mêmes toilettes que les Blancs. La moindre digression peut l'envoyer en prison, voire pire. Mais tous les Blancs ne pensent pas de cette manière, et lorsque Miss Skeeter se met en tête d'écrire en secret un livre, recueil de témoignages des bonnes Noires de Jackson, Aibileen et Miny décident de passer outre leur peur et de convaincre d'autres bonnes de se joindre à elles pour raconter à Miss Skeeter leur quotidien. Cela donnera lieu à des témoignages durs, qu'on peut difficilement imaginer, mais également à des récits plus émouvants. Car heureusement les mentalités changent petit à petit, et Miss Skeeter n'est pas la seule Blanche comprendre les injustices subies par les Noirs... Reste la question du livre. Quel sera son accueil dans cette ville du Mississippi si empêtrée dans ses traditions ? Et, surtout, quelles en seront les conséquences ?

La couleur des sentiments est un livre très prenant, très dur, mais également très émouvant, à l'image de ces témoignages qu'on découvre au fur et à mesure de l'histoire. C'est très bien écrit, et, une fois qu'on a passé outre le dégoût et la honte de ce que ces personnes ont pu subir (et subissent malheureusement encore de nos jours), on prend beaucoup de plaisir à suivre Aibileen, Miny et Miss Skeeter, et on s'y attache très facilement. D'autres personnages secondaires sont tout aussi sympathiques et émouvants, aussi bien des Blancs (Miss Celia, Mae Mobly) que des Noirs (Constantine). Et on a juste envie de trucider (excusez-moi du terme) certains autres, encore une fois Blancs (Miss Hilly) ou Noirs (le mari de Miny). Et c'est l'un des aspects que j'ai particulièrement apprécié ici, cette manière qu'a Kathryn Stockett de nous immerger dans une société où Blancs et Noirs sont totalement séparés par les mentalités, les lois et les traditions, tout en nous montrant que chez les uns ou chez les autres il peut y avoir du bon comme du mauvais, et qu'au fond ils ne sont pas dissemblables.

Ce qui ressort de cette lecture, au final, c'est l'espoir. Oui, c'est un témoignage dur, sans concession, de la ségrégation, mais qui ne s'attarde pas tant que ça sur ce qui est, en s'attachant tout particulièrement à ce qui peut être changé, et à la volonté de certaines personnes appartenant à ces deux peuples, qui se battent pour la paix et l'égalité, pour la reconnaissance des droits de chacun, à une période où Martin Luther King soulève les foules et proclame haut et fort les paroles que nous connaissons aujourd'hui par cœur, et qui vont profondément marquer nos esprits.


Hilly Holbrook présente sa proposition de loi pour des installations sanitaires réservées aux domestiques. Une mesure de prévention des maladies. Installation de toilettes à bon marché dans votre garage ou dans un appentis extérieur pour les maisons ne disposant pas encore de cet important équipement. Mesdames, savez-vous que : 
— 99 % des maladies des Noirs sont transmises par l’urine. 
— Nous pouvons être handicapés à vie par la plupart de ces maladies, faute d’être protégés par les facteurs d’immunité que les Noirs possèdent en raison de leur pigmentation plus foncée. 
— Les Blancs sont porteurs de certains germes qui peuvent également être nocifs pour les Noirs. 
Protégez-vous. Protégez vos enfants. Protégez votre bonne. Ne nous remerciez pas ! 
Signé : Les Holbrook. 

Vous voyez, je pense que si le Bon Dieu avait voulu que des Blancs et des Noirs restent aussi longtemps ensemble et aussi près pendant la journée, il nous aurait fait incapables de voir la couleur. 

Nous sommes simplement deux personnes. Il n’y a pas tant de choses qui nous séparent. Pas autant que je l’aurais cru.

  

mercredi 16 septembre 2015

19 - Qui a peur de la mort ?

Auteur : Nnedi Okorafor
Éditeur : Eclipse

Cela fait déjà un moment que ce livre me fait de l’œil, et son succès m'a fait sagement attendre mon tour à la bibliothèque. Lorsque j'ai enfin pu en lire les premières lignes, j'ai difficilement pu le refermer jusqu'à la dernière...

Onyesonwu, dont le nom signifie littéralement Qui a peur de la mort ?, est une ewu, c'est-à-dire née du viol d'une femme Okeke par un homme Nuru. Dans cette Afrique post-apocalyptique, être ewu est une malédiction. Rejetée par les Okeke aussi bien que par les Nurus, Onye, guidée par la colère et le désir de vengeance envers son père et envers les cruautés subies par le peuple Okeke, va au devant de sa destinée, étant tout à fait consciente que sa route est semée d'embûches et que seule la mort l'attend au bout du chemin. Heureusement elle pourra compter sur ses amies, qui ont su passer outre sa nature d'ewu et comprendre son combat, et sur son compagnon, un ewu comme elle.

Qui a peur de la mort ? nous confronte aux traditions africaines les plus secrètes, les plus cruelles, comme l'esclavage, l'excision, le viol, la place des femmes au sein de la société... Mais nous sommes également plongés au cœur des croyances, de la religion, de la magie, du folklore africain. Ce mélange de réel et de fantastique en fait un roman tout à fait prenant, à la fois documentaire et quête initiatique, même si le lecteur lambda (donc moi) est bien incapable de savoir à quel point les faits sont inspirés des réalités de ces pays d'Afrique dont on sait si peu de choses. Et pour ne rien gâcher, l'écriture est belle, fluide, et facile...

J'ai adoré ce livre, malgré quelques longueurs dont on aurait bien pu se passer, et je le recommande chaudement.


Nous restâmes là, à nous regarder, un instant.
- Tu as des yeux de tigre, dit-il. Et ces animaux se sont éteints voilà des décennies.
- Vous avez des yeux de vieillard, rétorquais-je. Et les vieillards n'en ont plus pour longtemps. 

Selon une ancienne loi, le premier fils né hors mariage du chef devait remplacer son père. Le père du chef avait contourné cette règle en se mariant avec toutes les femmes avec qui il avait des relations. À sa mort, il avait plus de 300 épouses.

  

18 - Tiré à quatre épingles

Auteur : Pascal Marmet
Éditeur : Michalon Éditions

J'ai eu la chance récemment de pouvoir participer à un Masse Critique spécial, et d'être sélectionnée pour la lecture de ce polar français de Pascal Marmet, Tiré à quatre épingles. Tout d'abord, un grand merci à Babelio et à l'éditeur pour ce nouveau concours, et un grand merci à l'auteur pour la petite dédicace du livre.

Tiré à quatre épingles, ou une aventure du commandant François Chanel au cœur d'un Paris haut en couleurs, qui nous fait voyager dans les croyances africaines. Une enquête bien ficelée, même si on en aperçoit rapidement les tenants et aboutissants, une histoire qui se lit très bien, des pages qui se tournent toutes seules. Et surtout des personnages très réalistes, auxquels on s'attache sans y penser, notamment ce François Chanel bien sympathique, qu'on espère de tout cœur retrouver dans d'autres aventures. En bref, une parfaite lecture d'été !


Elle avait l'air d'une quiche, avait le goût de la quiche pas cuite et, en réalité, nous avions affaire à une pâte d'acier trempé.

- On parle de quoi alors ? De la pluie et du beau temps ?
- Pourquoi pas ? Au Japon, on ne dit pas "je t'aime", mais "la lune est belle". N'est-ce pas là un excellent sujet de conversation et un joli détour pour se rencontrer ?
- C'est des conneries pour Blanche-Neige au bois boueux !